Biologie et écologie

Habitat

Le gypaète ne vit pas seulement dans des massifs montagneux reculés, bien que ces massifs soient devenus les derniers bastions où il s’est maintenu. Les seules constantes de son habitat sont un relief abrupt présentant des milieux ouverts avec des ongulés sauvages ou domestiques de taille moyenne, des zones rupestres pouvant abriter un vaste nid et des pierriers sur lesquels il pourra casser des os. L’altitude importe peu. L’espèce nichait dans la dépression de la Mer Morte (en dessous du niveau de la mer) et niche sur les contreforts de l’Everest.

En Europe, on peut observer l’espèce en haute montagne où les troupeaux d’ongulés sauvages (isards, chamois, bouquetins, mouflons…) sont théoriquement présents toute l’année. En hiver, les ongulés sauvages morts dans les avalanches constituent l’essentiel de la nourriture que trouveront les gypaètes de haute montagne, qui leur permettra d’élever leurs jeunes. On peut aussi observer l’espèce en moyenne montagne. Les densités d’ongulés sauvages non forestiers dans ce type de biotope sont généralement faibles et la présence du gypaète est liée au maintien du pastoralisme. Cependant, le cheptel quitte généralement la moyenne montagne en hiver et les ressources alimentaires hivernales deviennent plus limitées qu’en haute montagne, facteur entraînant une plus faible productivité si des nourrissages artificiels ne sont pas alimentés afin de compenser cette dépression trophique saisonnière. Le gypaète affectionne particulièrement les grands massifs calcaires qui offrent de grandes cavités et de nombreuses grottes ou il peut construire son nid. Toutefois, il peut nicher sur des montagnes cristallines, comme en Corse, ou sur d’autres types de substrats. Les aires des Pyrénées françaises sont installées dans des falaises entre 640 et 2540 m d’altitude et celles des Alpes sont situées entre 1300 et 2600 m environ. Il existe des aires plus basses (Crète à 300 m d’altitude) et d’autres plus hautes (Himalaya). Chaque couple possède plusieurs aires qu’il utilise de façon rotative, situées dans un rayon généralement inférieur à 2000 m les unes des autres.

Reproduction

Le gypaète fait partie des espèces dont les individus peuvent vivre plus de 30 ans mais qui se reproduisent peu et tardivement. La stratégie du gypaète repose donc sur la longévité et l’expérience des adultes.

Formation du couple et âge de première reproduction

Les couples sont sédentaires et se fixent sur un territoire toute l’année. Dans une population en bonne santé, les couples sont tous constitués d’adultes. Les oiseaux arrivant à maturité doivent donc trouver de nouveaux territoires ou remplacer les adultes manquants au sein des couples. La situation est différente dans les Alpes où l’absence de couples a probablement permis aux oiseaux issus des lâchers de se sédentariser plus facilement et à un âge parfois plus précoce (absence de concurrence venant d’adultes déjà installés).

En général, les oiseaux ne se reproduisent pas avant l’âge de 7 ans. En revanche, la formation du couple peut débuter bien avant. Les couples sont généralement longs à se former et plusieurs années peuvent se passer avant qu’un jeune soit élevé avec succès. Des trios sont présents dans les quatre populations européennes actuelles et dans la plupart des cas ils sont formés par deux mâles et une femelle. Leur productivité est très variable : elle peut être optimale ou nulle pendant des années, en fonction des conflits et compétitions générés ou non par ce type de formation.

Phénologie de la reproduction

Le cycle de reproduction du gypaète dure pratiquement un an. Les parades nuptiales débutent en octobre avec la sélection du site de reproduction et la construction ou le chargement de l’aire installée dans une paroi rocheuse et garnie abondamment de laine déposée sur un vaste matelas de branchages.
Les accouplements débutent deux mois avant la ponte, c’est-à-dire habituellement en novembre et la ponte d’un ou deux œufs, déposés à quelques jours d’intervalles, intervient entre le 20 décembre et la fin du mois de février dans les massifs français (dates plus précoces en Crète et en Catalogne espagnole).
L’incubation dure environ 54 jours. Si deux poussins naissent, la compétition entre les deux conduit le plus jeune à être éliminé par le plus âgé (phénomène de caïnisme). Le jeune s’envole à 120 jours en moyenne, entre le 10 juin et fin août, généralement entre fin juin et fin juillet.

Productivité

Sur les territoires les plus productifs de Crète, les couples élèvent un jeune tous les ans. Dans les Pyrénées espagnoles et françaises, la productivité peut dépasser 70 % sur les meilleurs territoires. En captivité, la productivité est généralement assez faible (30 %).

Régime alimentaire

Les gypaètes sédentaires occupent de vastes territoires qu’ils prospectent à basse altitude à la recherche de nourriture. Contrairement à certaines légendes ou aux gravures anciennes, le gypaète montre un comportement exclusivement nécrophage, à l’exception des tortues terrestres capturées dans les Balkans il y a encore quelques décennies. Comme les autres vautours, il exploite des cadavres d’animaux morts de manière naturelle ou accidentelle, en particulier ceux des ongulés sauvages et domestiques. Dans les secteurs ou d’autres espèces de nécrophages sont présentes, il est le dernier maillon de la chaîne alimentaire, se contentant des os, des pattes, des ligaments et de quelques restes carnés restés accrochés aux carcasses et délaissés par les autres. Quand le réseau trophique est complet, le régime alimentaire du gypaète est composé à 80 % d’os. Il est remarquablement adapté à la consommation de ces derniers, à la fois par son comportement et par son système digestif. Le poussin lorsqu’il est âgé de moins de deux mois consomme de la viande. Le gypaète est capable de jeûner durant plusieurs jours.

Le casseur d’os

Lorsque les os sont encore reliés les uns aux autres ou trop gros pour être avalés, le gypaète s’envole avec et laisse tomber l’ensemble de quelques mètres à plusieurs dizaines de mètres de hauteur sur un éboulis rocheux. Ainsi brisés, les os peuvent alors être ingérés. Cette technique nécessite un apprentissage, les jeunes mettant souvent plusieurs semaines à trouver un lieu adapté au-dessus duquel ils lâchent les os. Ce comportement est inné, les jeunes apprennent à casser les os dans les premières semaines suivant leur envol. Par ailleurs, le gypaète a la capacité d’ingérer des os très longs (jusqu’à 40 cm de long) voire plusieurs extrémités de pattes d’ongulés entières (brebis, isard, etc.). Il évacue les poils et les onglons qu’il ne peut digérer sous la forme de pelotes de réjections.

Disponibilités alimentaires

Les disponibilités alimentaires pour le gypaète ont été étudiées en Haute-Savoie et en Savoie, ainsi qu’en Corse et dans les Pyrénées.
Dans les Alpes, ces travaux montrent d’une part, l’émergence de deux espèces ressources quantitativement fondamentales dans ce secteur d’étude : le mouton en période estivale et le bouquetin en période hivernale (période de reproduction), et d’autre part l’importance de l’offre en terme de diversité et, en particulier, de façon qualitative en période de nourrissage du jeune gypaète au nid (importance probable de la marmotte comme facteur de succès de la reproduction). L’évolution globale des effectifs de cheptel ovin (300 000 ovins en estive) montre une légère régression depuis une quinzaine d’année tandis que les effectifs d’ongulés sauvages sont en constante augmentation (plus de 45 000 chamois, 5 500 bouquetins). Les études menées dans les Alpes du Nord ont montré que les ressources alimentaires répondaient largement aux besoins de l’espèce actuellement (capacité d’accueil théorique, basé sur les disponibilités alimentaires, évalué à plus de 100 couples reproducteurs en Savoie et Haute-Savoie).

Dans les Pyrénées, l’isard (25 000 isards recensés en 2002) et le cheptel ovin (1 000 000 d’ovins en 2002) constituent l’essentiel des ressources trophiques, une ressource abondante bien que non homogène, enrichie localement par la présence de marmottes et de cerfs en altitude. L’extinction du Bouquetin des Pyrénées au cours du XXème siècle a probablement affecté l’espèce sur le versant français.
En Corse, la faiblesse des effectifs de Mouflon (1000 mouflons) et l’hétérogénéité de sa répartition (2 noyaux isolés) aggravée par la régression du pastoralisme traditionnel au cours du XXme siècle peuvent expliquer en grande partie le faible taux de reproduction des gypaètes corses. En effet, la raréfaction de ces ongulés en montagne entraîne une fermeture du milieu qui défavorise la recherche d’une nourriture de plus en plus rare.

Partager :